Par Aude Carasco
Le troisième rapport de l’Observatoire de la déontologie de l’information, présenté ce jeudi 10 mars 2016 aux Assises du Journalisme à Tours, s’inquiète d’une dégradation de la qualité de l’information. Est mise en cause, la pression du direct, des réseaux sociaux, du législatif ou encore des actionnaires des médias. « Toute tentative de brider la liberté d’information au prétexte de renforcer la sécurité des Français ou de désaccords sur le traitement de l’actualité menace la démocratie », résume l’historien des médias Patrick Eveno, président de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), dans l’introduction de ce rapport, intitulé « Informer dans la tourmente ».
Cette instance tripartite réunissant entreprises de médias, syndicats de journalistes et associations (de citoyens, chercheurs…), imaginée lors des États Généraux de la presse écrite de 2008, entend faire prendre conscience de l’importance de veiller au respect des bonnes pratiques journalistiques et aux conditions de leur exercice.
Près de 200 alertes en 2015.
Si l’ODI constatait une centaine de manquements aux règles déontologiques dans son premier rapport rendu public lors des Assises du journalisme de 2013 à Metz, et 150 l’année suivante, ce sont « près de 200 alertes » qui sont été recensées dans le rapport 2015, courant certes sur une période plus longue (depuis 2014).
L’actualité des attentats de janvier à Paris avait fait l’objet d’un rapport exceptionnel publié en mars 2015 plus indulgent que celui du Conseil supérieur de l’audiovisuel (qui avait relevé 36 manquements), insistant sur le caractère exceptionnel de la situation.
Défaut de recoupement et mise en scène
Mais c’est pour une actualité plus courante que les médias ont été près de 200 fois pris en flagrant délit de « référence à une source unique et de défaut de recoupement » (comme la « fausse mort » de Martin Bouygues), d’ « approximations et confusion » (l’hypothèse de loups attirés par les cadavres après le crash de Germanwings), de « rumeurs crédibilisées » (comme le vote par les députés du doublement de leurs indemnités de fin de mandat), de « remodeler la réalité » (comme l’effacement de personnes sur des photos) ou encore de « mise en scène » (comme cette société de production qui proposa un costume à un jeune pour illustrer un sujet sur les clowns agresseurs).
La concurrence des réseaux sociaux
Le rapport insiste sur « le manque de recul et la pression du direct, qui peuvent donner lieu à des interprétations hâtives », et « la reprise de pseudo-informations circulant sur les réseaux sociaux ». Cette « concurrence des réseaux sociaux fragilise le contenu des journaux professionnels, et les oblige à plus de vigilance et de décodage »…
L’ODI met en garde contre la tentation de certains médias de retenir des sujets qui « font de l’audience » sur ces réseaux. D’autant que les sources de ces pseudo-informations sont de plus en plus diversifiées et difficiles à identifier. Et elles peuvent émaner d’initiatives groupées de militants, à des fins idéologiques et de manipulation.
Convergence des médias et déontologie
Des chapitres importants sont aussi consacrés à l’interventionnisme de plus en plus fort de patrons d’entreprises sur le contenu éditorial et à l’effacement inquiétant des frontières entre information, communication et publicité, ce qui doit « conduire les rédactions à renforcer leurs défenses déontologiques », selon l’ODI. Autant de thèmes qui feront l’objet de débats lors des Assises du journalisme, qui se poursuivent jusqu’au vendredi 11 mars, à Tours.
Autre fait marquant : la convergence des médias est devenue « la réalité actuelle de l’information interconnectée et fait système », selon le rapport. L’ODI s’inquiète à cet égard du pouvoir en matière de déontologie du CSA que souhaiterait étendre la proposition de loi sur le renforcement de la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, actuellement en débat à l’Assemblée Nationale.
Le CSA, une instance pas légitime ?
Cette « instance administrative, dont les membres sont nommés par le pouvoir politique, dont les crédits de fonctionnement sont votés par le Parlement et dont le rôle principal est la régulation économique du marché de l’audiovisuel » ne lui paraît pas légitime pour décider des bonnes pratiques journalistiques.
D’autant que son pouvoir ne s’étend pas à la presse et au numérique, qui font désormais partie d’un même système de l’information. Seule pourrait occuper ce terrain, selon le rapport, « une instance d’autorégulation, indépendante, nationale, représentative et tripartie », comme l’ODI revendique de l’être dans son fonctionnement.