La Culture, un investissement d’avenir

par Maud Franca, directrice adjointe de la Mission du programme des Investissements d’Avenir à la Caisse des dépôts et Consignations en charge du numérique.

 

 

Face au sentiment d’une Europe mise à mal qui se cherche dans un monde en profonde mutation, la culture, alliée à la puissance de transformation du numérique nous offre de formidables opportunités d’être dans l’élan créatif et constructif plutôt que dans celui destructeur de valeur ; et du coup d’être à l’initiative de grands projets de société fédérateurs. Au moment où en mars de cette année, le Président de la République française, François Hollande, annonçait un troisième programme d’investissement d’avenir à l’horizon 2016/2017, il est de la responsabilité des acteurs de la culture d’investir le débat politique et de montrer en quoi investir dans ce secteur est un levier de croissance et d’épanouissement pour nos sociétés avenirs ; une clé pour la réussite d’un renouveau sociétal rendu possible par les opportunités offertes par les nouvelles technologies.

Le débat proposé par Altaïr Think Tank au prochain Festival d’Avignon donne la parole aux acteurs de l’économie et de la culture, français et internationaux, pour mettre en lumière ses perspectives offertes par la culture liées au numérique et à l’inverse, combien il serait désastreux pour notre société de désinvestir ce secteur qui est encore aujourd’hui un de ces atouts alors que d’autres pays l’investissent massivement. Les civilisations ne sont pas éternelles comme le rappelait si bien l’écrivain Paul Valéry au début du siècle qui s’interrogeait déjà sur l’avenir de la vieille Europe et sa capacité à se réinventer. Rome et la Grèce ont fini de dominer le monde. Les positions géopolitiques bougent et la capacité des nations à se transformer avec un véritable projet de société fédérateur est vitale pour leur avenir.

 

La culture et le numérique: des clés du renouveau de la vieille Europe

Le numérique offre des opportunités de croissance sans précédent car il permet non seulement de remettre à plat toute notre vieille économie et ses modes de production et de diffusion datant du début du siècle mais aussi d’offrir de nouveaux champs d’investigations où la France possède de sérieux atouts : objets connectés, big data, robotique, ect. Les startups, mis en avant en France avec le programme gouvernemental French Tech lancé en juillet 2013 par la Ministre Fleur Pellerin, puis par la Ministre Axelle Lemaire, offrent des formidables outils de transformation économique et culturelle. Ces nouvelles entreprises de forte croissance diffusent une nouvelle culture de l’innovation et du changement indispensables à acquérir dans le monde de demain qui évolue très vite avec les nouvelles technologies.

Toutefois, pour que le progrès technologique soit aussi un progrès social et humain, il est capital que ce progrès soit au service de l’homme et non l’inverse et que ce progrès soit fait avec tous et pour tous. Les événements du 11 janvier montrent le danger de faire une société à plusieurs vitesses avec un écart grandissant entre une élite profitant à plein de la croissance et les autres à l’écart de ce renouveau. Un écart qui serait grandissant avec une non maîtrise des nouvelles technologies.

Cette capacité de rapprocher la technologie de l’homme et de faire d’un projet de transformation économique un projet fédérateur pour tous, c’est la culture. Pourquoi ?

 

La culture c’est en effet trois choses fondamentales :

1/ Notre identité commune;

2/ La capacité à penser par soi même et donc à maîtriser plutôt que subir ;

3/La capacité à créer du lien social, à développer le dialogue à un moment capital de transformation où l’inconnu génère des inquiétudes et accélère les différences.

Comment alors remettre la culture au cœur des projets d’avenir ?

 

Une des pistes, ambitieuse et suffisamment porteuse, est le développement des villes intelligentes et créatives, qui sont autant des leviers de transformation et de croissance économique que des projets forts d’avenir, fédérateurs et identitaires.

Le développement des villes intelligentes et créatives du XXIème siècle aura la même fonction que celle des grands travaux menés au XIXème siècle avec la construction des chemins de fer, des gares et des ponts. C’est en effet l’occasion de grands projets fédérateurs, qui incarneront l’ambition d’avenir des territoires et seront des opportunités de ré-investir l’intérêt général et le bien public trop souvent oublié et mis à mal aujourd’hui.

Les villes, et plus précisément les métropoles seront les futurs poumons économiques des sociétés d’avenir. Elles sont les hubs d’échanges nationaux et internationaux. Leur capacité à être attractives, notamment pour la future « creative classe » conceptualisée par Richard Florida aux Etats-Unis il y a déjà quelques années, celle composée des ingénieurs, des designers, des artistes et de tous ceux qui seront les maîtres d’oeuvre du renouveau, est un axe stratégique du développement urbain et économique.

Et cette « creative class » est porteuse d’une sociologie spécifique à sa génération: elle adhère aux mouvements de modes, tout en souhaitant une société d’avenir durable, porteuse de valeurs et d’éthique. A la différence des générations précédentes, celle-ci souhaite un équilibre plus grand entre le travail et la vie privée. Les environnements sont particulièrement importants pour cette communauté car ils doivent incarner son identité et les valeurs auxquelles elle adhère: créativité, inventivité, capacité à se régénérer et à se remettre en cause, durabilité, équilibre travail/vie privée, éthique social et du progrès.

 

Nous sommes en France au début de cette nouvelle culture de l’aménagement urbain qui doit allier innovation et créativité. Ce renouveau urbain passera notamment par :

le développement des écosystèmes numériques et créatifs. Le gouvernement a labellisé en 2014 neuf métropoles French Tech (Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Nantes, Montpellier, Rennes, Toulouse) qui seront avec Paris, les fers de lance de cette nouvelle génération d’écosystèmes de l’innovation qui rassembleront en des lieux communs des ingénieurs, designers, startups et grands groupes, mais aussi tous les nouveaux lieux de l’innovation que sont les tiers lieux, les fablabs, les incubateurs et accélérateurs de startups. Les artistes devront intégrer ces écosystèmes pour insuffler la culture créative, donner la culture générale pour faire des têtes bien faites capables de penser l’avenir, replacer l’humain au centre du progrès technologique, ect. D’autres écosystèmes comme French Tech Avignon se structurent en renforçant cette identité d’écosystème d’innovation créatif, porté par les atouts du secteur de la Culture. Cette initiative est à suivre de près.

 

Ces projets des villes intelligentes et créatives du XXIème siècle mettront au service de la ville et du bien public commun à tous les meilleurs talents d’ingénieurs, de designers et d’artistes. Elles seront un terrain d’expérimentation permanent pour ces acteurs et associeront autant les startups que les grands groupes dans des domaines aussi variés que les transports, l’énergie, la domotique et les objets connectés, l’industrie des services à la personne, ect, pour imaginer la ville de demain, durable et de bien être, à la pointe de la technologie, capable d’attirer les meilleurs talents.

 

la mise en œuvre de grands projets culturels qui incarneront ce renouveau, tout en étant des forts leviers de croissance économiques, sources de fierté pour toute une société locale et nationale, porteuse d’avenir et d’espoir au bénéfice de tous.

Cette politique de renouveau économique par la Culture n’est pas nouvelle et se voit amplifier par les opportunités offertes par les nouvelles technologies. On se souvient alors dans les années 1980 de l’impact économique et sociétal des grands projets culturels portés par Jack Lang sous la Présidence de François Mitterrand. De nouvelles structures et institutions culturelles se sont développées et de nombreux festivals se sont créés. Le dynamisme culturel a rendu le territoire plus attractif, a attiré les touristes et les habitants, a généré de nouveaux emplois et a ainsi favorisé le développement économique…

 

« On peut aussi prendre l’exemple de l’impact de la construction du Musée Guggenheim à Bilbao .À la fin des années 1990, la ville basque, sinistrée par la fin de la sidérurgie, renaît de ses cendres grâce à l’implantation d’un nouveau musée d’art contemporain, antenne européenne de la Fondation Guggenheim de New York, signée par l’un des plus prestigieux architectes au monde, Franck Gehry. Le succès est spectaculaire. Dix ans après son ouverture, le Guggenheim de Bilbao affiche 1 million de visiteurs par an, a généré 4.500 emplois directs et indirects et participe à hauteur de 1,57 milliard d’euros à l’économie du pays.

Les villes et pays du monde entier souhaitent suivre l’exemple. Les pays émergents sont les premiers à avoir adopté de nouvelles politiques de développement culturel : parmi eux, la Chine et son ambitieux projet de 5 000 nouveaux musées pour 2014 . Le Brésil souhaitant développer 300 centres artistiques » (Source Forum d’Avignon).

Ces musées, centres et institutions culturelles, devront jouer un rôle actif dans les écosystèmes de l’innovation en ouvrant leur patrimoine (Exemple de la French Tech Avignon) et en replaçant l’innovation technologique au service de l’homme et de la population. Cette reflexion pose le rôle des musées et des institutions culturelles à l’ère 3.0, dans le façonnage des villes de demain et la participation du citoyen dans cette construction.

Enfin, pour conclure cette réflexion, il convient de rappeler que la culture est un atout économique de la France et de son rayonnement à l’international. Elle est un des secteurs d’Avenir dans lequel il faut investir, dans le sens où elle est source de créations d’emplois.

 

La culture, levier de croissance économique et secteur créateur d’emplois.

Un nouveau rapport conjoint du Ministère de la culture et de l’économie indique récemment que la culture contribue ainsi 7 fois plus au PIB français que l’industrie automobile avec 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée par an.

 

Où seront alors créés ces nouveaux emplois ? Et où investir dans la Culture pour l’Avenir ?

 

Dans l’éducation culturelle et le spectacle vivant qui est un foyer de culture, de cohésion et de dialogue sociale indispensable en moment de crise et de mutation économique. Rappelons ici que le renouveau numérique génère de nouveaux besoins de rassemblement physique et de partage collaboratif.

Mais aussi :

dans les grands projets de musées et d’institutions 3.0 comme évoqué ci-dessus;

dans les nouvelles plateformes d’intermédiations culturelles qui permettront de diffuser notre patrimoine plus largement dans nos écosystèmes mais aussi au delà de ses frontières et d’intensifier leur développement économique ;

dans l’entrepreneuriat culturel en imaginant des sources de financement et des modèles économiques innovants ; dans les accélérateurs de startups culturels pour permettre de structurer ce nouveau tissu d’acteurs et d’être capables de faire des meilleurs potentiels des champions nationaux et internationaux. Faire émerger les nouveaux Deezer et pur Player culturels de demain ;

dans les plateformes de mutualisation de services et de ressources (humaines, industrielles, financières) nécessaires aux industries et projets culturels.

 

Maud Franca est directrice adjointe de la Mission du programme des Investissements d’Avenir à la Caisse des dépôts et Consignations en charge du numérique. A ce titre, la CDC gère pour le compte de l’Etat un programme de près de 2.7 Mds€ destiné au développement de l’économie numérique en France. Maud Franca a co-rédigé avec Philippe Dewost le rapport « Quartiers numériques » remis par la CDC au gouvernement fin juin 2013 qui a donné naissance dès juillet 2013 au programme gouvernemental French Tech dont on connaît aujourd’hui le succès et les enjeux. Elle siège à la gouvernance de nombreux programmes digitaux et apporte de ce fait une vision éclairée des transformations à venir sociétales et économiques. Dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir elle travaille avec le Ministère de la Culture, le Commissariat Général à l’Investissement pour faire évoluer les acteurs de la Culture française à l’ère du numérique. La CDC a ainsi soutenu le projet de Centre Pompidou Virtuel, la création de BNF partenariats, de la société FENIXX de diffusion des œuvres indisponibles du XXIème siècle, etc. Passionnée d’Art, Maud Franca est aussi convaincue que la Culture doit jouer un rôle fondamental dans une société de plus en plus gouvernée par les technologies. Replacer l’humain au centre de tout progrès technologique est une nécessité pour produire du progrès social et économique. Et former les esprits grâce à la culture est plus qu’essentiel dans une société de développement technologique. Enfin, les nouvelles technologies de l’information offrent selon elle des opportunités d’un renouveau culturel avec des nouveaux formats, des nouveaux usages et des enjeux de rayonnement au travers de tous ces nouveaux supports. Elle est engagée à titre personnel auprès de plusieurs associations culturelles.

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